VW-Tesla, la guerre des mondes

Rien ne va plus chez Volkswagen ! Le champion européen de l’automobile, qui a été la référence pendant près de 40 ans, est aujourd’hui officiellement en crise.
Peu compétitive, la marque enregistre des contre-performances inquiétantes. Par exemple, le carnet de commande de ses voitures électriques aurait baissé de 50% alors que la demande mondiale est en hausse de 45%. L’ID.4, le modèle électrique au cœur de la gamme a fait un immense flop, VW serait contraint de le brader pour écouler les stocks.
C’est très logiquement que Oliver Blume, le PDG, a annoncé des mesures drastiques afin de faire 10 milliards d’euros d’économie d’ici 2026.

La valeur de l’action Volkswagen a été quasiment divisée par deux en deux ans. Le marché sanctionne les piètres performances du constructeur, il est vrai peu aidé par la conjoncture géopolitique actuelle.

Comparé à Tesla, VW reste un mastodonte, toutefois on observe une réelle érosion des ventes de VW et une croissance régulière et spectaculaire de Tesla.

L’expérience Tesla
J’ai récemment eu l’occasion de tester une Tesla Modèle 3 sur un bon millier de kilomètres. L’expérience est particulière, elle s’avère suffisamment différente pour avoir le sentiment de conduire « autre chose ».

A l’usage, la tablette centrale qui regroupe toutes les commandes n’est pas franchement pratique, le compteur de vitesse n’est pas sous les yeux, les commodos ne reprennent pas les dispositions généralement en usage partout ailleurs, tout cela demande un petit temps d’adaptation.
De plus, la propulsion 100% électrique provoque une petite charge mentale car elle nécessite d’anticiper les trajets afin de recharger le véhicule, ce qui est valable pour toutes les voitures électriques.

Pourtant, dans la logique de rupture adoptée par les concepteurs de Tesla, les inconvénients se transforment presque en qualité.
Le centre de commande a fait jaser en proposant notamment un feu de cheminée, une console de jeu et le très potache coussin péteur, qui témoignent d’une décontraction propre à l’origine Californienne de la marque. Ces bouffonneries sont peut-être une habile manière d’affirmer leur différence et une forme de coolitude rebelle. Malin…

S’agissant de la qualité de fabrication du véhicule, elle s’apparente plus à un constructeur généraliste qu’à celle d’un véhicule premium. Par exemple, les lève-vitres n’ont pas le fonctionnement feutré que l’on trouve sur une berline allemande premium. Sur mon véhicule de 40’000 km, le tirant de porte montrait des signes de fatigue qui provoquaient un désagréable bruit à l’ouverture.
Pourtant, malgré une certaine légèreté de fabrication, Tesla est plutôt associé au cercle des marques premiums.

Les accélérations de missile procuré par les moteurs électriques ont un petit côté jouissif. Pour autant que vous choisissiez l’option « Dual Motor », vous aurez tout loisir de taquiner une Porsche 911 Carrera au feu rouge, bluffant. Cette voiture se comporte comme un kart et procure un étonnant plaisir de conduite.

Tout dans la conception d’une Tesla est innovant. L’industrialisation elle-même a révolutionné les processus de fabrication, les giga-presses (du fabricant italien Idra Group) permettent de mouler des châssis sous très haute pression. Il suffirait ainsi de deux énormes pièces moulées pour remplacer un assemblage originellement composé de 170 éléments et 1600 soudures. Ceci permettrait de produire des caisses plus légères et de baisser drastiquement les coûts de fabrication. Cela démontre un souci permanent d’optimisation de la part des ingénieurs.

De même, l’électronique de bord constitue un écosystème complet et innovant. Par exemple, les puces utilisent du carbure de silicium et pas le traditionnel silicium que l’on trouve partout ailleurs. Ce matériau a notamment l’avantage d’être plus résistant et de mieux supporter la chaleur. Cela témoigne d’une conception soignée associé à une excellente maitrise des technologies.
Toutes les fonctions de l’auto sont concentrées dans une électronique qui est mise à jour à distance comme un smartphone, la voiture évolue au gré des nouvelles version du logiciel.

Bien que qu’ultra complexe, la capacité de conduite autonome a été intégrée de façon native dans la conception du véhicule. Une vision de ce que devrait être une voiture ainsi qu’une intégration centrale et pertinente des technologiques numériques montrent une volonté de rupture doublé d’une prise de risque certaine.

Par rapport à la concurrence qui multiplie les modèles et les options, Tesla se contente de 4 modèles et un nombre très limité d’options, et certaines d’entre-elles ne sont que des activations logicielles qui n’exigent aucune logistique industrielle complexe.
Cette approche simplifiée permet de limiter les complexités, donc les coûts avec lesquels les constructeurs premiums traditionnels se sont perdus. En clair, la marque Tesla offre une valeur d’usage supérieure à la concurrence et ce « by design ».

Au quotidien, l’approvisionnement d’énergie peut se faire au travers d’un réseau de SuperChargeurs fournis par Tesla (ou par une prise standard). Tesla ne s’est pas contenté de construire des voitures électriques mais a assuré tout l’écosystème qui permet d’offrir une expérience fluide et rassurante au consommateur.

Les automobiles Tesla sont conçues en Californie, une région qui a une capacité naturelle à remettre les modèles en cause et à innover. Une Tesla a été pensée par les gens de la tech et du numérique. Cela se ressent dans le résultat. Les ingénieurs de Tesla sont partis d’une feuille blanche et ont imaginé leur proposition automobile, unique.

Tesla me fait penser à l’iPhone. Lorsque Apple a introduit son smartphone, il n’était vendu que par des opérateurs capables de fournir un réseau 3G. Apple avait une proposition cohérente et visionnaire sur les usages de son téléphone, un écosystème complet qui offrait à ses usager une expérience simple, fluide et d’une grande utilité.

Tout l’inverse de Nokia qui a tenté de produire des téléphone-ordinateurs (la brique Nokia 9300) qui faisaient tout, mais mal. Notamment, les capacités de communication n’avaient pas été pensées comme une composante intégrée à un tout.
Sans réelle vision des possibilités qu’offraient la technique, ces produits n’étaient que l’extension miniaturisée d’un ordinateur personnel.
En matière automobile, j’associe le Nokia 9300 à l’offre de voitures électriques de Volkswagen et des autres constructeurs traditionnels. Ils ne sont qu’une adaptation du véhicule thermique à l’électrique sans une vision globale de la nouvelle donne en matière de technologies.

Une affaire d’ADN
Tentons de déterminer les mots clés qui caractériseraient le mieux la perception les deux marques.
Pour moi Tesla serait : innovant, dynamique, valorisant, zéro émission.

Le même exercice pour la marque Volkswagen serait : sérieux, bien construit, fiable et raisonnable.
Nous pouvons considérer que ces qualificatifs constituent l’ADN des deux marques.

La marque Tesla est parfaitement cohérente avec son image, nous avons vu que ses voitures étaient fortement innovantes, le dynamisme est exprimé par ses performances de missile ainsi que le sentiment de participer à l’histoire en marche. Montrer une image éco-responsable et avant-gardiste, dans un véhicule immédiatement reconnaissable, et qui soigne le sentiment d’appartenance, est assurément valorisant. Quant au zéro-émission (au roulage), c’est une réalité qui valorise son propriétaire (ou le déculpabilise, c’est selon), surtout quand on atomise une Porsche au feu rouge, la testostérone éco-responsable a un petit côté jubilatoire.

Tesla est facilement associée au cercle des marques premiums (comme BMW Mercedes ou Audi) alors que la finition un peu désinvolte appartient plutôt à l’univers des constructeurs généralistes. Ce qui perturbe parfois les journalistes spécialisés qui perdent leur latin dans leurs références habituelles. Cependant, les lacunes de finition ne sont pas formellement reprochables car elles ne font pas partie de l’ADN de la marque.

Intéressant, dans les divers classements de fiabilité (J.D. Power, WhatCar, Euroconsumers, autres), les autos Tesla se trouvent en fond de classement. Pourtant, l’indice de satisfaction des clients est très élevé.
Les propriétaires des fusées électriques pardonnent tout à leur tablette à quatre roues alors qu’ils voueraient aux gémonies une voiture à essence d’une aussi piètre fiabilité. Là aussi l’ADN de la marque ne repose pas sur la fiabilité, dès lors, il n’y a pas incohérence entre la revendication et l’expérience.

Chez VW, l’offre électrique a plus de peine à coller avec l’ADN de la marque. Une construction désinvolte, avec des plastiques « durs », marotte des journalistes, ne fait ni sérieux, ni bien construit. Des performances en retrait dans tous les domaines par rapport à la référence n’en font pas un achat raisonnable (moins performant, plus lourd, moins de place, petit coffre, le tout sans un avantage de prix).
L’électronique de bord et l’habitacle évoque l’ancienne DDR (l’Allemagne de l’est pour les plus jeunes). Une mise au point et des mises à jour laborieuses démontrent un manque flagrant de maîtrise dans le domaine du logiciel et de son intégration, tant sur la technique que sur les usages.
Enfin, des remises importantes pour écouler les stocks (ID.3) n’a rien de rassurant pour le consommateur.

La Volkswagen électrique n’est pas une référence dans son segment de marché et son image est floue.
Dès lors, en période de choix, le prospect va objectiver les qualités des produits et comparer les offres concurrentes. En clair, la VW n’offre pas « d’unique value proposition » qui différentie clairement ses produits et qui explique pourquoi le client potentiel devrait en acheter.

De plus, et de façon incompréhensible, l’offre électrique de Skoda et de Seat, construite sur la même plateforme technique, donne une meilleure impression qualitative alors que le positionnement des marques dans le groupe devrait placer Volkswagen entre Audi et Skoda.

VW est en disruption cognitive, les valeurs qui portaient la marque ne se retrouvent pas dans son offre de véhicules électriques. Le marché semble sanctionner les errements du constructeur allemand.

Cette critique est valable pour la totalité de l’ancien monde automobile qui se perd dans des stratégies de groupe et des positionnements de marque fumeux.
Avec son offre limitée et sa marque unique, Tesla peut mobiliser une puissance de feu technique et marketing concentrée. Ce qui lui assure un avantage compétitif unique.

Mon message à VW
VW donne l’impression d’avoir conçu une voiture électrique avec les mêmes équipes qui conçoivent des véhicules thermiques. Pire, ils semblent avoir considéré que la plus-value écologique associée à puissance de la marque Volkwagen permettait de pratiquer des tarifs élitistes. Pendant que Tesla disruptait, Volkswagen est arrivée sur le marché avec l’arrogance de ceux qui vivent le succès depuis trop longtemps.

Je perçois une incapacité très européenne de penser numérique et rupture. Une structure organisationnelle probablement figée, une incapacité à réinterroger son environnement ainsi que la peine à comprendre et assimiler le monde numérique dont les codes sont si différents, tout cela explique les difficultés rencontrées par les constructeurs établis du secteur.

L’automobile électrique provoque une rupture sur un marché qui est entrain de rebattre les cartes. La Chine s’est déjà imposée comme un leader, tant pour la production que pour la sécurisation des approvisionnements pour la fabrication des batteries. Le risque est donc très élevé que l’Europe perde une de ses industries d’excellence.

Sans savoir ce qui bout dans la marmite de VW et avec un peu de prétention, voilà les objectifs qui seraient les miens :

  • Donner la liberté d’explorer les technologies et d’en extraire les possibles ;
  • Placer le numérique au cœur de la réflexion ;
  • Donner la liberté de réimaginer les usages automobiles et d’optimiser l’utilité ;
  • Donner la liberté de réimaginer l’industrialisation et la logistique ;

Pour atteindre ces objectifs :

  • Nommer des spécialistes du numérique au conseil d’administration de l’entreprise ;
  • Créer une cellule de conception indépendante, non polluée par les acquis et centrée sur les usages ;
  • Créer une cellule des technologies du numérique « là où ça se passe » et dotée de pouvoirs importants ;
  • Sortir des logiques de plate-forme et de déclinaison de marque ;

Les résultats à atteindre sont :

  • Fixer un ADN proche du groupe (par exemple : robuste, pratique, fiable) ;
  • Offrir une vision claire et unique de la proposition de véhicule zéro émission du constructeur ;
  • Créer des produits cohérents avec l’ADN et performants à tous points de vue ;
  • Créer des produits qui exploitent toutes les possibilités techniques.

A titre plus personnel j’insisterais sur les fondamentaux d’usage. En effet, des carrosseries hypertrophiées, grandes à l’extérieur et petites à l’intérieur, couplées à des effets de styles de plus en plus baroques me font penser aux « belles américaines » des années 50-60 qui, comme les mammouths et les dinosaures, ont disparu. Tâchons d’apprendre de l’histoire.

Un chiffre pour illustrer mon propos : Dans la catégorie des voitures électriques de 4.75 m de long, les coffres de la Mercedes EQC ou de la BMW iX3 cubent 500 litres là où la Tesla modèle Y propose 970 litres. L’espace de l’habitable est à l’avenant. A mon sens, c’est la preuve de conceptions batardes qui reposent sur les habitudes.

L’Europe somnole sur ses acquis, il me semble urgent de se réveiller et de redévelopper les structures techniques et industrielles qui ont fait notre richesse passée.

© Pascal Rulfi, décembre 2023.

Téléchargez l’article : VW-Tesla

Ce contenu a été publié dans Généralités, Gouverance, Innovation, Numerique, Stratégie, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.