Au quotidien, nous avons tous fait l’expérience de dispositifs mal fichus et à l’ergonomie peu intuitive. Or, une expérience positive est un différenciateur important, voire indispensable tant nous attendons d’un système, d’un appareil, d’une prestation qu’ils soient à notre service en offrant une expérience d’utilisation aisée, rapide et fluide.
Illustrons.
Pour illustrer le propos, je propose de décrire deux expériences vécues il a quelques années comme simple usager d’un aéroport.
Première expérience : pour un vol transatlantique en famille, notre vol faisait escale à Paris.
Quelques jours avant le départ, j’ai reçu un courriel qui m’informait du changement de terminal à l’escale, un plan précisait le chemin et le temps de passage y compris la sécurité ainsi qu’une information concernant mes bagages dont je n’avais pas à me soucier car ils suivaient automatiquement.
Bien que les indications sur place étaient très claires, ce message rassurant parvenu quelques jours avant le vol confirmait que tout était sous contrôle afin que mon expérience de transit se passe sans stress.
Seconde expérience : elle porte sur un vol pour la Corse depuis l’aéroport de Genève. Le billet et l’enregistrement ont été fait par internet. Arrivé sur place, je me soumets à une longue file pour passer la sécurité, une fois passée, on me fait ressortir pour m’indiquer qu’il faut me rendre dans le secteur des « vols domestiques ». Conséquence, je subis une nouvelle file et repasse la sécurité avant de me rendre à l’embarquement.
Voilà l’exemple d’une expérience médiocre, qui a fait perdre du temps à tout le monde et qui démontre de l’apparent manque d’attention que l’aéroport de Genève témoigne à ses clients.
Dans les deux cas j’ai pu embarquer et le service a été rendu. A Paris, en vivant une expérience fluide alors qu’à Genève, en pestant contre l’amateurisme de l’accueil, le stress induit et le temps perdu. En quoi un vol Suisse vers France est un vol domestique ? Et comment peut-on spontanément imaginer qu’il y a un parcours particulier pour la destination France ?
Ce type de mauvaise expérience n’est pas singulière : automates, parcmètres, transports publics, procédures administratives offrent souvent un expérientiel client peu satisfaisant.
Lors de visites de villes, je suis attentif à mon expérience de déplacements avec les transports publiques. A l’usage, je n’ai jamais, je dis bien jamais, effectué un trajet de façon simple et aisée.
Cela commence avec le paiement du transport dont je ne trouve jamais les modalités. Puis, je tente de découvrir la bonne ligne donc : les plans, les horaires et les emplacements des arrêts qui sont rarement indiqués de façon simple et claire. Je note que depuis quelques années, seul Google Maps vient à ma rescousse.
Pourquoi ?
Pour moi, la raison principale est que l’usager n’est jamais au centre de la démarche de conception. J’identifie trois points d’attention qui, s’ils ne sont pas pris en compte, peuvent déboucher sur des systèmes peu pratiques.
La simplicité :
Pour ce qui concerne les dispositifs techniques, ils sont souvent conçus par des ingénieurs plus calés en technologie qu’en ergonomie. De plus, un périmètre fonctionnel de plus en plus large complexifie les interfaces homme-machines. Il est nécessaire de rendre les dispositifs le plus simple possible. Paradoxalement, l’objectif de simplicité est complexe à mettre en œuvre et malheureusement ces aspects font rarement partie du cahier des charges et sont souvent ignorés ou bâclés.
Pas plus tard que cette semaine, je suis venu en aide auprès d’un automobiliste étranger qui n’arrivait pas à payer son stationnement avec le parcmètre. A l’usage, cet appareil concentrait toutes les tares d’un système mal conçu. Pire, il existe nombre de systèmes différents sur le canton qui nécessitent un apprentissage pour chaque appareil.
Le présupposé :
Le concepteur conçoit son service en présupposant des connaissances de l’usager. Il oublie que ce qui lui semble évident, car il le pratique au quotidien, ne l’est pas pour un usager qui ne connait pas l’environnement dans lequel il se trouve.
Le précédent exemple de la file des vols domestiques de l’aéroport de Genève illustre le propos. Ce système a probablement été mis en place pour simplifier la vie des usagers de vols à destination de la France. Toutefois il s’agit d’une exception propre à cet aéroport, l’usager ne peut deviner ce qui semble acquis pour les gestionnaires de la plateforme aéroportuaire.
Le sens :
Le concepteur implémente des fonctions qui ne font aucun sens et qui surchargent le système. Cela est valable tant pour un système technique qu’on surcharge de fonctions inutiles, que pour un processus administratif qui demande toutes sortes d’informations parfaitement superflues.
Tout le monde a expérimenté des systèmes informatiques truffés de champs peu clairs voire inutiles. Souvent les concepteurs se défendent en affirmant qu’on pourrait avoir besoin de l’information.
J’ai l’exemple d’une organisation qui, pour la mise en œuvre d’une prestation en ligne, prétendait exiger le numéro de compte bancaire de l’usager « pour ne pas devoir lui courir après en cas de remboursement ». Dans les faits, le nombre de remboursements était marginal et les usagers sont toujours prompts à réclamer leur dû. En revanche, communiquer ses propres coordonnées bancaires est un frein à l’adoption d’un service en ligne.
Points d’attention
Lors de la conception d’un système ou d’un service, je vous recommande d’être attentif à quelques phrases qui sont autant de petites alarmes. En voici quelques-unes :
« Tout le monde sait que… »
Non ! Ce qui peut vous sembler clair ou acquis ne l’est pas forcement pour vos clients. Assurez-vous que les objectifs et le contexte de votre système soient bien compris par les usagers.
« On peut profiter pour… », « on peut ajouter… »
Non ! Ajouter des fonctions et des informations complexifie inutilement le système. Visez la simplicité, rendez votre système le plus sobre possible. Ne détournez pas le système pour des fonctions que vous imaginez intéressantes. Pour cela concentrez-vous sur l’utilité, encore faut-il la connaitre !
« Au cas où … »
Non ! Surcharger un système pour prévoir des cas marginaux n’a pas de sens. C’est une erreur fréquente lors de processus de digitalisation, préférez une évolution incrémentale basée sur une expérience construite et des besoins réels.
« C’est logique… »
Non ! Votre système vous semble logique car vous l’avez conçu ou vous l’utilisez au quotidien. Mais il ne l’est pas pour quelqu’un qui l’utilise occasionnellement. Observez l’usager et affinez l’ergonomie de votre système.
Comment ?
L’usager n’est pas au service du système. C’est au système de le séduire.
A chaque mise en œuvre, il s’agit d’inventer le système ou le service qui génère une expérience d’utilisation la plus claire, la plus simple et la plus naturelle possible.
Convoquez un panel hétérogène de testeurs et observez attentivement leurs réactions à l’utilisation d’un prototype.
Clarifiez votre objectif et observez s’il apparait clair pour votre panel.
N’hésitez pas à affiner et améliorer votre système jusqu’à ce que vos testeurs le trouvent parfaitement logique et naturel d’usage. N’oubliez pas les facteurs culturels et linguistiques.
Un simple parcmètre peut être compliqué à utiliser. Il suffit de se poster dans la rue devant une machine et d’observer les utilisateurs pour constater les lacunes d’ergonomie. Rappelez-vous, ce n’est pas l’utilisateur qui est idiot, c’est le concepteur !
Évitez les aréopages de spécialistes et les comités de pilotage car il n’en sort que rarement du concret.
N’imaginez pas ce qui est bon pour l’utilisateur. Ce dernier sera le seul arbitre du succès de votre système. Toutefois vous devez avoir une vision claire de ce que vous souhaitez apporter, fixez une intention et un objectif.
Personne n’a imposé l’utilisation de l’iPhone. Pourtant, malgré une complexité intrinsèque énorme, la simplicité d’utilisation et la valeur ajoutée apportée ont imposé cet appareil. Notez les trucs et astuces qui permettent de commander simplement votre smartphone par le truchement de l’écran tactile. C’est un exemple parfait d’une intégration de technologie parfaitement réussie.
Ne reproduisez pas un système ou un service tel qu’il existe. Profitez de l’occasion pour redéfinir le sens d’un service et réévaluer toute la procédure et toutes les fonctionnalités que vous souhaitez mettre en œuvre. Faites-vous challenger par des personnes externes afin de réfléchir hors du cadre.
Réinterrogez l’usage, le sens de la fonction et mettez l’utilisateur au centre de la réflexion.
Easyjet a redessiné les services liés à la commande d’un voyage. Pour la commande d’un billet d’avion, ils ne se sont pas basés sur l’existant mais ont imaginé un processus avec les outils à disposition. L’intention et la promesse ont été clairement définies dans le nom de la compagnie : « easy » et « jet ». Dans la durée, ils ont enrichi l’offre de service en prenant garde que la maturité numérique de leurs clients s’accommodait de cette complexification.
Osez le parti pris ! Les décisions tièdes amènent des solutions tièdes qui finissent par ne convenir à personne. Satisfaire tous les membres d’un comité de pilotage est le plus sûr moyen d’échouer. Les tenants d’un copil savent que c’est une bonne méthode pour diluer les responsabilités donc le risque personnel.
Ayez une vision claire et ayez le courage de la défendre. Puis confrontez votre proposition sous forme de prototype avec un panel de testeurs.
Ne présagez pas du succès ou de la pertinence de votre système. S’il faut oser le parti pris, il faut également la lucidité pour abandonner lorsque cela est nécessaire.
Conclusions
J’encourage tous les concepteurs et les acquéreurs de systèmes ou de services à méticuleusement évaluer l’ergonomie et la relation avec les produits. Une bonne expérience utilisateur est un différenciateur et un générateur de satisfaction dont on ne devrait pas se priver.
Concevoir de bons produits n’est pas simple d’autant qu’il n’existe pas de méthodes infaillibles et pas de consensus sur la bonne approche pour générer de la satisfaction d’usage.
L’effort est important, mais dans le cadre d’une concurrence exacerbée ou de la défense d’une réputation, il me semble indispensable de proposer une expérience utilisateur irréprochable.
© Pascal Rulfi, septembre 2021.
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