La Cour des comptes rate-t-elle sa cible ?

Fin 2005, le peuple genevois a largement approuvé la création d’une Cour des comptes.
Le terme de comptes est ambigu car il peut faire croire que cette Cour est uniquement chargée du contrôle des comptes publics, ce qui est d’ailleurs le cas dans plusieurs pays.

A Genève, la Cour des comptes a pour but d’assurer un contrôle indépendant et autonome de l’administration. Sa mission est de s’assurer du bon emploi des fonds publics, de la légalité des activités ainsi que de l’évaluation des politiques publiques.

L’administration dispose d’une seconde instance de contrôle : le service d’audit interne dont les tâches sont l’évaluation des processus de gouvernance, de management des risques et de contrôle ainsi que le contrôle des indicateurs de performance des programmes.

A bien des égards, on peut avoir le sentiment que les missions de la Cour des Compte et du service d’audit interne se chevauchent. En tout état de cause, le mot qui les caractérise est le contrôle.

Le parlement a récemment étendu le périmètre d’activité de la Cour en y ajoutant la révision des comptes de l’Etat. Cette mission est assurée par des réviseurs dont le métier est de mener des contrôles d’ordre financier et d’évaluation des risques. Cette nouvelle mission renforce la Cour dans un rôle de contrôleur.

Evaluation des politiques publiques
Dans les faits, la Cour des comptes est constituée d’auditeurs, de réviseurs et d’évaluateurs. Les magistrats titulaires sont majoritairement juristes de formation.
Dès lors, on peut s’attendre à ce que les évaluations de la Cour soient abordées sous l’angle de la conformité légale et règlementaire de l’action publique.

Dans les faits, les analyses de la Cour sont complètes, elles comprennent des appréciations sur la gouvernance, le fonctionnement des structures ainsi que le résultat concret des productions de l’audité.

Les analyses de la Cour sont pertinentes et utiles car elles sont un garde-fou contre les habitudes et un aiguillon dans les pratiques de l’administration.
S’agissant de l’’évaluation des politiques publiques, la mission semble pleinement remplie.

Un bon emploi des fonds publics
L’évaluation du bon emploi des fonds publics permet une grande liberté dans l’interprétation de cet objectif.
Ad minima, l’auditeur va contrôler le respect d’un certain nombre de bonnes pratiques. Je pense par exemple aux procédures de recrutement ou aux procédures d’achat. Plusieurs rapports ont relevé des faiblesses dont certaines ont ému la République.

Ces contrôles contribuent à améliorer les usages et débusquent des dérives dans les dépenses.
En revanche, ils n’augmentent structurellement pas l’efficience des services de l’Etat.

Assurer le bon emploi de l’argent public suppose d’augmenter la productivité tout en respectant l’intégrité des collaborateurs. Deux leviers sont source de productivité :

  1. L’organisation.
    Partage de ressources, flexibilité, redéfinition des services, suppression des doublons.
    Mais encore, évaluation et définition des missions, dimensionnement des besoins et des ressources.
  2. La numérisation.
    Automatisation des processus, réingénierie de la production, modernisation des services à la population.

L’organisation.
Un questionnement de l’organisation permet non seulement une optimisation dans l’attribution des ressources, mais on peut également en espérer plus de sens dans le travail des collaborateurs. Collaborateurs dont le taux d’absentéisme anormalement élevé pourrait démontrer un certain malaise.
Orienter l’organisation vers un service client fluide et qui fait du sens est un challenge qui bénéficie à tous.

Une analyse à l’échelle d’un service ne permet pas de trouver des gains de productivité déterminants. Seule une vue globale et systémique des services et prestations délivrées par l’Etat permet de dresser la cartographie générale du fonctionnement de cette grande machine. L’analyse de l’ensemble permet d’identifier les points qui méritent une redéfinition en vue d’améliorer l’efficience et la qualité des prestations.

Pour atteindre ce but, il faut disposer de compétences liées à l’organisation du travail.
Les industriels disposent d’un service des méthodes qui évalue la façon de produire en optimisant les ressources en fonction des buts à atteindre et des risques qui peuvent être pris. Etrangement, cette structure de support est inexistante au sein de l’Etat.

L’industrialisation des processus de production est un métier d’ingénieur. Esprits scientifiques et pragmatiques, ils sont habitués à résoudre des problèmes et arbitrer des solutions dans la complexité de paramètres multidimensionnels.

La numérisation
Le numérique a bouleversé le fonctionnement et les usages de tous les acteurs économiques. Industries, banques, commerces, voyages, compagnies aériennes, tous ont automatisés leurs processus à des degrés divers. Les métiers ont fondamentalement changé et la production de services a trouvé des gains de productivité significatifs.

La numérisation est intimement liée aux organisations. Elle est généralement attribuée à tort aux « informaticiens ». Lorsqu’il est en charge d’une transformation numérique, ce spécialiste effectue généralement une « business analyse » et va reproduire sous forme numérique le fonctionnement de l’existant. C’est une erreur commune que j’observe dans les projets de numérisation qui débouche sur une valeur ajoutée finale souvent médiocre.

Il s’agit de réinventer les processus en mettant du sens et de la valeur pour le client. Cette analyse demande une grande connaissance des organisations et du numérique. De plus, elle nécessite une certaine créativité et un sens du bénéfice client pour apporter des solutions fluides et du sens dans le processus.
Les qualités nécessaires pour porter ce type de projets sont multiformes : ingénieur, ergonome, spécialiste des organisations, il s’agit de profils experts capables d’imaginer les solutions les plus pertinentes pour répondre aux défis d’une structure complexe aux activités multiples.

Conclusions
La Cour des comptes est un instrument utile, voire indispensable pour évaluer les prestations des services publics. C’est l’équivalent du contrôle qualité dans l’industrie.

Son rôle de contrôleur de la bonne gouvernance des politiques publiques est parfaitement calibré et adapté dans un environnement stable. Son action permet un regard extérieur et professionnel, garant d’une bonne gestion et est un rempart à d’éventuelles dérives dans le bon fonctionnement des services.

Toutefois, l’Etat se trouve dans une situation d’endettement que l’IDHEAP qualifie de « taux d’endettement extrême » (indicateurs MCH2 de 1ère priorité : taux d’endettement net > 200%), de loin le plus élevé de tous les cantons suisses.
Dans cette inquiétante situation, la recherche d’efficience fait partie de la mission portant sur le bon emploi des fonds publics. Il ne suffit plus d’appliquer une bonne gouvernance dans les processus de gestion, mais de réinventer la production de prestations en y intégrant les outils de productivité actuels.

Organisation et numérisation sont les deux principaux leviers de l’efficience. S’agissant de la digitalisation, plusieurs acteurs, dont votre serviteur, affirment que le retard numérique de la Suisse est dramatique.
Il y a plusieurs causes à ces archaïsmes dont je ne vais pas en débattre ici. Toutefois, par sa position privilégiée, la Cour des comptes pourrait être l’initiatrice de la transformation numérique et se présenter comme « le service des méthodes de l’Etat ».

Il s’agirait pour la Cour de passer du rôle de contrôleur-conseiller à celui de consultant qui anticipe et dessine les organisations de demain.
Dans la situation qui est la nôtre, cette transition ne me semble plus un choix, elle est une nécessité.

© Pascal Rulfi, octobre 2021.

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