La pandémie Covid-19 a durement impacté nos économies. Pour continuer les opérations et limiter la casse, les organisations ont été contraintes à trouver des solutions alternatives.
Les cadres dirigeants ont soudainement découvert le télétravail. Il a été déployé dans l’urgence et à une vitesse fulgurante alors que la solution technique était disponible depuis des décennies.
Toutefois, dans l’urgence, la question de la productivité n’a pas été posée et les enseignements à posteriori seront difficiles à tirer tant les points de mesure comparatifs auront manqué.
Cela pose une question de fond : comment mesure-t-on le travail ?
La pointeuse horaire
La mesure usuelle du travail est horaire, l’employeur achète du temps à l’employé et en fait le décompte afin de payer le salaire. Le temps est décompté par un automate appelé pointeuse horaire.
La mesure horaire du travail prend son sens sur une chaine de production. Le rythme de la chaine détermine la productivité et la seule variable est le temps de passé derrière la machine.
L’ouvrier apporte sa force de travail que le taylorisme a réduit en une unité interchangeable.
Cette façon de compter le travail est tellement ancrée que la législation sur le travail se base sur des heures de présence et règle les exceptions à ce mode de calcul.
Lorsque la production concerne des sous-ensembles autonomes, l’industriel peut également mesurer le travail à la pièce. Cette façon de calculer est une alternative au décompte horaire, toutefois on reste toujours dans le cadre d’une production standardisée et répétitive.
L’enjeu
Le travail du chercheur ou du créatif ne se mesure pas au temps qu’il passe derrière son bureau. Des idées géniales, donc de grande valeur, peuvent surgir en promenade ou sous la douche.
Il n’y a donc pas de lien direct entre une mesure de quantité (temps, pièce, etc) et la valeur ajoutée qui peut être apportée par le collaborateur. Tenter une mesure systématique telle que le temps n’a pas de sens.
Dans un environnement de moins en moins stable et de plus en plus imprédictible, la standardisation du travail ne répond plus aux enjeux actuels car l’entreprise doit s’adapter en permanence, voire réinventer les biens et les services qu’elle produit.
La création de valeur est multidimensionnelle et n’est absolument pas proportionnelle au temps passé.
Les entreprises qui disruptent les usages montrent un fonctionnement interne très différents que par le passé. Le cadre est assoupli et une plus grande liberté est laissée aux collaborateurs pour imaginer les solutions qui apporteront de la valeur.Dès lors, la mesure du travail, donc sa rétribution pose de réelles questions.
Si le télétravail a récemment fait une percée, il ne suffit pas de le promulguer pour se donner le verni de la modernité et de l’efficacité. Tout au plus on aura créé plus de confort pour les collaborateurs sans aucune contrepartie.
Les processus de création exigent des échanges parfois intensifs. Les outils d’une collaboration dématérialisée doivent être disponibles et leur usage compris par l’ensemble des collaborateurs. Les objectifs doivent également être clairs et partagés.
L’installation d’un babyfoot dans l’entreprise n’en fait pas une organisation agile et inventive !
Quel modèle ?
La mise en place de nouvelles pratiques, qui incluent l’automatisation et la dématérialisation, eux-mêmes rendus possibles par les nouvelles technologies, demande la capacité de s’adapter et d’innover en continu. L’objectif doit être tourné vers l’amélioration de l’expérience client et le résultat car la seule amélioration du processus de production est aujourd’hui insuffisante.
Le mantra de l’innovation demande liberté et confiance. Elle s’affranchit des carcans de la hiérarchie traditionnelle et du contrôle systématique. Le résultat est le seul juge de l’action. Il doit être mesurable et le succès équitablement partageable.
Donner de la liberté n’est pas simple car le sentiment de vide peut s’avérer anxiogène et déstabilisant pour certains. Les qualités attendues des ressources humaines pour ces nouveaux environnements ne sont alors plus les mêmes, les personnalités conservatrices perdent leur pouvoir au profit des faiseurs capables d’intégrer rapidement les opportunités.
Les processus normalisés et contrôlés disparaissent au profit du résultat net, concrétisé par l’efficience et/ou l’expérience client.
Les membres des équipes sont aujourd’hui très bien formés, ils sont capables d’apporter des plus-values dans leurs domaines respectifs. L’enjeu consiste à créer une alchimie constructive afin que l’addition de toutes ces compétences débouche sur la création d’une valeur globale élevée.
Ces nouveaux usages sont fondamentalement différents du monde des processus taylorisés dont les acteurs s’étiolent à exécuter des tâches subalternes sans valeur.
La configuration de ces nouveaux environnements de travail est totalement différente. Les mots clés qui les caractérisent sont : agilité, apprentissage continu, essais, erreurs, créativité, complexité, co-construction, intelligence collective, incertitude.
Les modalités de travail ne correspondent pas une structure organisationnelle figée. Toutes les formes de collaborations sont acceptables moyennant que les objectifs soient respectés.
Dès lors le calcul du travail sur la base d’heures de présence est naturellement inadapté, pire, elle a toutes les chances de s’avérer contreproductive.
Comment ?
Deux citations conduisent mes réflexions :
– L’administration par objectif est efficace si vous connaissez les objectifs. Mais 90% du temps vous ne les connaissez pas. [Peter Drucker]
– Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. [Sénèque]
Je constate aujourd’hui un déploiement du « home office » sans outils et sans contrepartie, cela n’est ni innovant, ni créateur d’efficience, ni disruptif. Il s’agit d’une implémentation mal comprise de ce qui se passe chez Google, parfois avec une justification crypto-bobo de bonheur au travail.
Fixer les objectifs est donc une priorité. Savoir qui on est et où on va est déterminant. Les ambitions clairement formulées permettront de conduire la bonne démarche RH.
Les composantes du travail donc leur rétribution sont un mix entre plusieurs paramètres qui vont dépendre des objectifs et du type d’organisation. Naturellement le mix salarial est variable en fonction du type de mission au sein de la structure.
Les composantes de la valeur du travail pourraient être les suivantes :
1) Loyauté : part fixe liées au contrat de travail, soit à l’exclusivité de la relation.
2) Présent : part liée à l’exécution des tâches récurrentes.
3) Qualité : part liée au résultat, personnel et collectif en regard de l’objectif.
4) Futur : part liée à la valeur ajoutée, à l’innovation.
Il n’y a rien d’innovant dans cette proposition. Elle est appliquée dans nombre d’organisations, mais souvent avec une part variable peu incitative.
Toute la difficulté de l’organisation consiste à rendre effectif les propositions qui créent de la valeur.
La proposition d’innovation, peut donner lieu à un projet. Le projet sera qualifié et traduit en objectifs. La réalisation concrète sera ensuite déployée dans la structure.
La prime sur le « futur » ainsi que la part liée au résultat doivent être un incitatif fort. Par exemple une part concrète de l’apport de valeur peut/doit être restituées aux collaborateurs impliqués. En définitive il s’agit de la restitution d’une part du dividende aux collaborateurs qui l’ont généré activement.
Ainsi la valeur du travail n’est plus mesurée au temps de présence, au pouvoir ou au grade dans la hiérarchie mais à la valeur ajoutée apportée dans l’organisation.
Ce nouvel environnement qui privilégie la création de valeur rencontrera probablement les réticences de la structure en place car elle est consciente du pouvoir qu’elle a à perdre au travers de tels changements. Toutefois, l’histoire est en marche et nul ne peut s’affranchir d’une telle réflexion car un nouvel entrant peut survenir n’importe quand et de là où on ne l’attend pas.
Conclusion
Au terme de cette réflexion, je reconnais qu’une mesure juste du travail et du revenu n’est pas chose simple. A vrai dire c’est une question que je m’étais posée avec mes collègues il y a une dizaine d’années sans trouver de solution satisfaisante.
Savoir qui on est et ce que l’on fait est capital. Déterminer le cap et fixer des objectifs reste indispensable.
Mais ce n’est pas suffisant car dans un monde de bouleversements, les nouveaux entrants surviennent à n’importe quel moment. Pensez à la photo, aux achats de billets d’avion, aux CD, à la carte routière, aux taxis et à tout ce qui a été profondément modifié ces vingt dernières années.
Êtes-vous certain-e que votre modèle d’affaire est pérenne ?
Finalement, les nouvelles pratiques du travail sont appliquées dans les entreprises technologiques à succès. En résumé, une liberté importante, des conditions cadre qui incitent à l’innovation et des récompenses en fonction de la valeur ajoutée.
De quoi réfléchir à vos propres structures.
© Pascal Rulfi, novembre 2020.
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