Un constat sans concession sur la présence horlogère sur le web.
Il n’est pas un jour où l’on ne parle de transformation digitale et de disruption.
La vitrine commerciale sur le web a constitué le premier pas des entreprises sur ce média, et cela depuis près de vingt ans. Qu’en est-il de la présence de l’horlogerie helvétique sur internet ?
Vous souvenez-vous du temps où il suffisait de lever la tête pour disposer de l’heure qui était affichée un peu partout ? Avez-vous constaté que ces horloges publiques, comme les cabines téléphoniques, ont disparu du paysage ?
L’heure exacte se lit désormais sur nos smartphones, avec une précision absolue puisque l’heure est calée sur l’horloge atomique. Nous sommes arrimés à nos téléphones intelligents dans une relation de quasi dépendance, l’heure est donc toujours à portée de main.
Mais alors, pourquoi achète-t-on encore une montre ? A plus forte raison pourquoi achète-t-on une montre mécanique qui est intrinsèquement peu précise ?
Cela fait longtemps que la fonction première d’une montre n’est plus de donner l’heure. De nos jours, la belle montre est un bijou, plutôt destiné aux hommes, un marqueur social, un plaisir que l’on s’offre.
D’objet purement utilitaire, la valeur d’une montre a glissé vers l’intangible que l’on définit par la fameuse image de marque.
Au sein d’un même groupe, différentes marques sont offertes au marché alors que leurs mouvements sont souvent les mêmes. La précision et la fiabilité entre les marques sera sensiblement identique quand elles utilisent le même « calibre » (la même mécanique). Ce qui les différentie est leur positionnement sur le marché.
Cette façon de procéder est la déclinaison horlogère de la segmentation de marché mise en place dans les années 30 par General Motors. Les marques Chevrolet, Pontiac, Oldsmobile, Buick et Cadillac s’adressaient chacune à un segment de client prédéfinit, alors que les produits n’étaient différents qu’en apparence.
Vous l’aurez compris, soigner l’image de marque est primordial pour vendre à fort prix un objet dont nous n’avons pas besoin. C’est tout l’intérêt de la mercatique qui va aider à atteindre ce but.
C’est ainsi que les marques dépensent des fortunes pour associer leurs marques à des évènements ou à des ambassadeurs censés représenter la valeur de la marque. Toutes les célébrités passent : James Bond, Beckham, Agassi ou Crawford, cela fait des lustres que les marques tirent sur les mêmes ficelles du marketing. Sans que nous puissions toujours faire un le lien entre l’ambassadeur et l’univers de la marque.
Visite sur la toile
Il est alors intéressant d’observer comment les marques se présentent sur leurs sites internet respectifs. Comment elles positionnement leur image. Comment elles se légitimisent dans l’univers du luxe.
Pour cela, je vous invite à visiter les marques de deux groupes importants du secteur : Swatch Group (dont : Omega, Breguet, Longines, Tissot) et Richemont (dont : Cartier, IWC, Jaeger-LeCoultre, Panerai).
D’entrée de jeu, je peux dire que je ne suis pas bluffé par la présentation qui nous est offerte !
Quelles que soient les marques, elles semblent s’être donné le mot pour nous présenter une version à peine modernisée de la « foire aux échantillons de Bâle ».
Les montres sont présentées en vrac, à peine classée par catégorie de modèles avec une vague tentative de web marchand. Quelques caractéristiques techniques, une belle photo et quasi rien d’autre.
La présentation n’est pas beaucoup plus sophistiquée qu’un site marchand généraliste.
Sans parler des approximations de présentation : des images chevauchent le texte, des contenus sans cohérences et sans logique. Je relève des slogans et des affirmations navrantes que par pure charité je ne reproduis pas ici.
Tout cela est bien loin de l’image du luxe qui devrait n’être que volupté et exclusivité !
L’expérience client est en total décalage avec la prétention d’excellence dont se prévaut l’horlogerie helvétique.
Que manque-il ?
Le web est l’occasion de communiquer à bon compte, d’inscrire la marque dans un territoire, de créer de l’émotion, d’établir un lien avec l’univers de la marque.
Je notes quelques points qui me semblent manquer dans la communication web :
L’identité et la légitimité.
Quelle est cette marque ? Quel est son ADN ? Dans quel environnement évolue-t-elle ?
Je veux me reconnaitre dans un produit. Mon choix doit me correspondre, je n’achète pas une simple montre, j’achète un « moi ».
Tentez l’exercice de comprendre qui est IWC et qui est Jaeger-LeCoultre. Je suis bien en peine de répondre à cette question en visitant leur vitrine. Comment peuvent-ils provoquer mon envie dans ces conditions ?
La belle histoire
Les marques horlogères ont une histoire, elle a forgé leur ADN, elle les rend légitimes.
En filigrane je dois comprendre d’où vient une marque et où elle va. Je n’achète pas une montre, j’achète une belle histoire qui a le parfum de l’authenticité.
Et de grâce, la belle histoire n’est pas une succession de faits égrenés au fin fond de votre vitrine avec des termes creux et sans signification. Ce n’est pas en affirmant être « haute horlogerie » dans toute votre communication que je vais vous croire. Soyez crédibles !
Tous ne peuvent avoir été sur la lune, mais la majorité ont une histoire qui permet de lier le passé au présent. Relisez votre propre histoire et faites-moi rêver ! Votre histoire sera certainement plus légitime que les ambassadeurs dont nous savons tous qu’ils sont à vendre au plus offrant.
Le produit
Le produit doit être beau (selon les goûts de chacun) et unique, comme votre vitrine internet. Ce n’est pas une description désincarnée qui va me convaincre que je touche le ciel.
Je n’achète pas un produit fonctionnel chez un boutiquier. Je veux une expérience, je veux me projeter dans un univers unique, je veux être rassuré quant aux qualités uniques du produit.
Les clients
Ce sont vos clients, il faut les convaincre et les accompagner. Humanisez votre communication, établissez une relation, une émotion. Créez du lien entre votre client et votre produit. C’est votre client qui juge votre vitrine. Montrez-lui de l’attention, séduisez-le, choyez-le.
La couronne revient à…
Je me suis demandé comment j’architecturerais une vitrine horlogère sur le net et j’ai cherché l’horloger qui cochait toutes les bonnes cases. Il n’y a pas de hasard, faites un tour sur le site de la marque à la couronne et vous aurez une idée de la perfection en matière de vitrine digitale.
Attardez-vous sur les présentations de Sir Jackie Steward, Tiger Wood, James Cameron et vous aurez un exemple parfait du lien entre l’humain qui est placé au centre et le produit. C’est remarquablement réalisé.
Naviguez dans la gamme des montres de Rolex : chaque produit est rattaché à une histoire, la présentation raconte l’exception et légitime votre futur choix. C’est simplement parfait.
Un produit d’exception se doit d’avoir une présentation d’exception. Votre vitrine va laisser une impression à vos futurs clients, avec le risque qu’ils ne reviennent pas deux fois. Il reste un gros travail à effectuer pour être à la hauteur des attentes du consommateur devenu exigeant.
© Pascal Rulfi, novembre 2020.
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