PPC (Platinum Pipeau Certified)

J’observe depuis plusieurs années le développement rapide des certifications de compétences. Certaines certifications deviennent des arguments dans un CV, car elles sont demandées par les recruteurs.
Si au début je les ai accueillies favorablement, j’ai développé à leur égard une méfiance, voire une franche hostilité.

Je me suis donc interrogé du pourquoi de cette hostilité alors qu’au siècle dernier, j’ai moi-même défendu et demandé à mes collaborateurs qu’ils se soumettent à des certifications.

À l’origine

J’ai été confronté aux premières certifications au travers d’un éditeur de logiciels bien connu. Si au début, la relation de partenariat était peu contraignante, l’éditeur a progressivement durci les conditions en imposant notamment des obligations en matière de connaissances pour représenter officiellement ses produits. Très logiquement, cet éditeur a mis en place une structure de formations et de certifications qui valident les connaissances en qualité et en quantité.

Cette approche est légitime, en effet, la complexité sans cesse croissante de l’offre et le modèle de commercialisation indirect (l’éditeur est représenté par des intermédiaires indépendants) nécessite de structurer le marché et de garantir au client final une qualité de service minimum.

La maitrise des outils informatiques sophistiqués ne va pas de soi. En effet, l’enjeu consiste à comprendre le périmètre fonctionnel et les possibilités offertes par le produit, d’autant qu’il s’agit de logiciels d’un éditeur dont la mise en œuvre est propre à ce dernier.

Dans le domaine technique, déterministe et aux contours précis, cette approche a été adoptée par tous les éditeurs de logiciels et de solutions. Ainsi, Microsoft, Cisco et les autres ont monté des programmes de partenariat adossés à des cycles de certification. Dont acte.

La grande fête du slip

Le principe de la formation-certification est devenu un business. N’importe quelle méthode, n’importe quel sujet donne lieu à sa formation associée à sa certification. Agilité, projet, qualité, audit, gouvernance des technologies, sécurité, la liste des sujets est infinie (je laisse à chacun le soin de trouver les certifications possibles en regard de chacun de ces sujets).

Selon le sujet, en quelques jours de formation (payante) et un passage à la case examen (payant), vous voilà nanti d’une belle certification qui fait de vous le roi de la piste.
Où est le problème ?

Prenons l’exemple d’un chef de projet, une activité qui consiste à mobiliser et coordonner des ressources pour atteindre un but qui n’a pas pour vocation d’être reproduit. Un projet est par essence unique.
Le chef de projet exercera son talent pour éviter les immanquables chausse-trapes, les errements, la mauvaise utilisation des ressources et j’en passe.
Diriger un projet demande une expertise et une longue expérience dans le domaine dans lequel le chef de projet exerce, que ce soit la conception d’un logiciel, la construction d’un pont ou la fabrication d’un avion.

Dès lors, les formations certificatives de type PMP semblent bien insuffisantes face aux défis que représente la véritable direction de projet. Pourtant, lorsqu’il cherche un chef de projet, le service des ressources humaines des grosses entreprises va rechercher des candidats certifiés PMP.

Un autre exemple est celui de l’audit. Une activité que je peux associer à une démarche d’enquêteur de police, un exercice qui demande du flair, des connaissances, de l’intelligence humaine, de l’expérience, voire du courage afin de débusquer les irrégularités.
Les méthodes d’investigation sont propres à chacun. Avec un peu de légèreté, je peux évoquer l’approche d’une enquête par Maigret, Columbo ou San Antonio, dont les signatures dans la façon de mener l’enquête sont pour le moins différentes. Ces commissaires de papier montrent qu’ils parlent d’humains, ce qui nécessite une approche sociologique de la problématique.

L’audit n’échappe pas à la formation certificative. Ces certifications apportent une espèce de cadre méthodologique qui ne manque pas d’émettre des évidences (par exemple, il faut rester « neutral » comme le préconise aussi JCVD).
Rebelote, ces certifications seront exigées pour prétendre à un poste d’auditeur. Ce qui permet de remplir une case dans l’organisation, case imposée par une loi ou un référentiel de bonne pratique qui donne lieu à une nouvelle certification.

On relèvera que le référentiel d’audit provient d’une association dont le business couvre plusieurs domaines de certification tels CISA, CISM, CGEIT, CRISC et promeut également les référentiel COBIT et Val IT.
Je laisse le soin au lecteur d’identifier tous ces acronymes et toutes les dépendances à d’autres référentiels.

Je crois qu’imposer un cadre méthodologique unique et fermé dans des matières qui traitent de l’humain est une erreur, pour ne pas dire qu’il s’agit d’un délire bureaucratique qui, in fine, est une défiance à l’intelligence humaine. Cette quête de la méthode infaillible et très normée du contrôle débouche sur de l’audit de conformité. Triste issue qui se montre le plus souvent incapable d’apprécier la performance et d’introduire de l’innovation dans les recommandations.

Le propos m’évoque l’image de cette pub mythique de 1984 qui s’inspirait du roman d’Orwell !

Ce qui m’attriste le plus, c’est la paresse des recruteurs qui, faute de connaissances suffisantes pour apprécier les compétences intrinsèques nécessaires à accomplir les missions prévues, s’appuient sur des certifications dont la plus-value reste à prouver.

Jusqu’au délire

Tout devient certifiable et c’est ainsi que les sciences (très) molles s’emparent du sujet. On trouvera notamment un certificat de « bonheur dans les organisations » aussi creux qu’il est à la mode. Prenez n’importe quel thème en vogue et vous trouverez assurément plusieurs certifications associées à ces sujets.

Pour donner un peu de crédit aux instituts de formation qui délivrent des certifications, il est de bon ton d’être certifié par un label qualité (p .ex. eduQua). Et pour devenir un certificateur, il faut bien entendu être soi-même certifié. Une forme d’énergie perpétuelle qui se nourrit elle-même de ce qu’elle produit.

Le questionnement

Notre pays peut s’enorgueillir d’un système de formation performant. De l’apprentissage qui garantit un socle de personnes formées de façon pragmatique, aux Écoles Polytechniques qui frayent avec l’élite mondiale, en passant par les HES et les Universités, nous disposons collectivement de ressources de grande qualité.
Bien entendu, dans un monde qui change à grande vitesse, ces ressources sont à cultiver en veillant à une amélioration continue des connaissances.

Dès lors, je m’interroge sur la nécessité qu’ont les RH de s’appuyer sur les caches sexe de la connaissance. Pourquoi considérer des formations d’une semaine, qui s’imposent face à des personnes au bénéfice d’un bagage académique sérieux et universel ?

Je tempère mon propos, car il est des formations certifiantes intéressantes, je pense en particulier aux référentiels de bonnes pratiques. Toutefois, il doit s’agir d’un cadre inspirant et non pas d’une doxa à appliquer à la lettre.

L’expertise est souvent unique, elle provient d’un ensemble de paramètres non reproductibles qui lient connaissances, expériences et parcours professionnel. Le parcours de vie, la personnalité, la vision personnelle, l’ambition et toutes autres choses plus ou moins avouables, font l’intérêt d’un individu. Un individu si loin de la personne normée à attribuer dans une case de l’organisation que fantasment les bureaucrates.

Un bon chef de projet, un bon enquêteur ou un bon manager sont le résultat d’un long parcours et non pas d’une certification qui ne fait que rassurer les responsables RH, eux-mêmes biberonnés aux pseudos méthodes miraculeuses, mais bien peu scientifiques.

Le service du personnel, à la mission purement administrative, s’est progressivement transformé en un département des ressources humaines. Pour justifier leur importance, les RH se sont attribués de nouvelles missions en théorisant leur activité. C’est ainsi que tous les hochets du vivre ensemble éclosent dans les organisations : du bonheur au travail imposé au babyfoot, tout y passe. Pourquoi pas, si le bénéfice est prouvable.
Dans cette même approche pseudo-scientifique, il y a la promesse de recruter sans erreurs. Promesse plus compliquée à tenir quand on ne connait pas intimement les métiers.
Les certifications prennent alors tout leur sens. Un project certified ou un auditor certified ont le mérite de nommer une connaissance spécifique, quitte à ce qu’elle soit superficielle, alors qu’un titre de docteur ou d’ingénieur est plus compliqué à appréhender.

Conclusions

En Suisse, nous bénéficions de lois sur le travail assez libérales. Cette liberté donne le droit d’essayer et de se tromper, d’un côté comme de l’autre. Il n’est donc pas besoin de garantir l’infaillibilité dans un recrutement.

En revanche, il est important de rappeler aux RH ce que sont nos formations, de rappeler l’excellence de nos écoles et le potentiel exploitable de ceux qui en sortent.
Une formation continue est souhaitable. On la préférera dans des écoles qui dispensent des formations généralistes, reconnues et exploitables dans la durée.

Il appartient aux RH de ne pas confondre connaissances et métier.
Il s’agit d’apprécier objectivement le parcours dans toutes ses dimensions et ne pas se reposer sur les oreillers de paresse que constituent les tests psychotechniques dont la validité est fortement mise en cause. S’appuyer sur des tests et des certifications à la valeur discutable est une offense aux personnes qui ont fait l’effort de vrais diplômes.

Pour moi, les productifs auront toujours raison sur les bureaucrates. Il appartient donc aux productifs d’évaluer le potentiel d’un nouveau collègue ainsi qu’au responsable d’apprécier le potentiel vis-à-vis des ambitions de l’entreprise.

Il est difficile d’évoquer le bon sens, car chacun a le sien. Néanmoins, il est fortement souhaitable que chacun assume ses choix et ses coups de cœur sans s’adosser à des artifices qui se veulent rassurants. Finalement ces démarches ne traduisent que de la peur et une forme d’incompétence, ce qui est paradoxal.

© Pascal Rulfi, décembre 2024.

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