L’innovation disruptive est un sujet d’actualité que l’on retrouve régulièrement à la une des médias. Ces vingt dernières années ont été particulièrement riches en matière de disruption.
La disruption est aussi une affaire de survie pour les entreprises car les nouveaux entrants viennent de là où on ne les attendait pas. Par exemple qui pouvait imaginer il y a moins de 5 ans qu’Apple deviendrait la plus grande marque horlogère au monde ?
Évolution vs disruption
Mais au fait, quelle est la différence entre une évolution et la disruption ?
L’évolution est une adaptation continue qu’effectue un acteur établi en faisant évoluer ses outils et/ou méthodes alors que la disruption écarte les acteurs en place, remplacés par de nouveaux entrants qui changent les usages en s’appuyant généralement sur de nouvelles technologies.
Pour les agriculteurs, le tracteur a été un outil qui a nécessité une importante adaptation de l’activité mais qui n’a pas changé les fondamentaux de l’agriculture. Aussi importante soit-elle, il s’agit d’une évolution.
La plateforme de taxi Uber a la potentialité de faire disparaitre les compagnies de taxi si les états ne régulaient pas le marché. De même la photo numérique a tué les compagnies de photographie argentique tels Polaroid ou Kodak. Il s’agit de disruption.
Est-il possible de créer de la disruption dans une organisation ?
C’est dans les laboratoires de Kodak que le premier appareil photo numérique a été mis au point. Pourtant Kodak n’a jamais été l’acteur dominant de ce marché et a fini par disparaitre.
Ce type d’échec est abondamment analysé dans les écoles de commerce.
Pour ma part, j’observe que l’entreprise est un ring ou s’affrontent les forces en présence. Les services qui génèrent les plus gros revenus sont généralement les plus puissants, ils gèrent ce qu’on appelle la vache à lait de l’entreprise, ce qui leur confère une autorité de fait.
Les tenants d’une position confortable ne vont pas accueillir favorablement des innovations qui risquent de mettre leur situation en danger, quitte à agir contre les intérêts à long terme de l’entreprise.
C’est ainsi que l’innovation disruptive sera étouffée dans l’œuf.
Ma première conclusion : il y a très peu de chance de produire de la disruption au sein d’une organisation établie sur un marché stable. L’organisation elle-même opposera une forte résistance à tout changement.
Les tentatives d’évolution par le marché.
Les administrations publiques lancent des consultations auprès des administrés afin de connaitre quels seraient les services qu’ils souhaiteraient voir en ligne. Cette démarche est aussi peu visionnaire que stérile.
Pour illustrer le propos, faisons l’exercice de remonter en 1996 et plaçons-nous dans l’état-major de la compagnie Swissair. Suite à des annonces qui ont terni la réputation de Swissair, nous décidons de lancer une grande consultation auprès de nos usagers afin de leur demander comment améliorer nos services.
Après un dépouillement des réponses, il y a fort à parier que la majorité des contributions auront été du type : « plus de crème dans les millefeuilles », « j’aimerais que le Genève-Zurich de 7h00 parte à 7h15 » ou « j’aimerais des hôtesses plus souriantes ».
En clair les usagers formulent des évolutions sur la base d’un environnement connu.
Imaginons qu’un usager déclare : « je veux payer mon billet 5x moins cher » et « je souhaite être ma propre agence de voyage ».
En admettant qu’une telle proposition ait été formulée, il y a toutes les chances pour qu’elle ait passé aux oubliettes par son caractère excessif. D’ailleurs l’état-major eut été bien incapable d’élaborer une solution concrète, lui qui avait imaginé l’arrogante stratégie du chasseur.
C’est pourtant exactement ce qui est arrivé. 5 ans après notre sondage fictif, Swissair a disparu, remplacé par EasyJet et son modèle disruptif.
Ma seconde conclusion : les usagers peuvent imaginer des évolutions mais pas la disruption.
En revanche les usagers adoptent très rapidement les services disruptifs lorsqu’ils apportent un avantage concret.
Ma troisième conclusion est un corollaire des deux premières, une organisation établie ne sait pas se réinventer, elle est donc condamnée à disparaitre.
Il y a pourtant des exemples d’organisation établies qui ont su introduire des processus disruptifs dans leurs opérations. Par exemple, les grandes banques ont été leur propre acteur dans la mise en place de processus en ligne complets et complexes en remplacement du guichet.
Cette stratégie a été possible par leur capacité d’analyse de l’environnement d’affaire, d’importants moyens et un cynisme assumé. L’objectif ultime étant l’optimisation des revenus et du stakeholder value.
L’entreprise peut décider de ses objectifs et de clairement les énoncer. Par exemple, suppression de la moitié des guichets dans un horizon de 2 ans et la disparition complète en 5 ans.
Dans ce cas, l’entreprise utilise les outils à sa disposition pour créer un changement qui s’apparente à une disruption.
Comment introduire une évolution disruptive ?
La méthode est finalement assez basique ; il s’agit de mener une réflexion en se mettant dans la peau de l’usager. Il faut lui apporter un service simple, rapide et dont le bénéfice est immédiatement perçu.
Le
prérequis est de disposer d’une bonne connaissance des outils disponibles (web,
big data, objets connectés, imprimantes 3D, smartphone, 4G, 5G, etc).
Puis, sur la base de la boite à outil : élaborer des processus qui
améliorent l’efficience et imaginer services qui constituent un avantage
déterminant pour l’usager.
Les solutions proposées ont toutes les chances de rencontrer de fortes réticences en interne. Pour s’en affranchir l’entreprise peut créer une structure externe capable de générer de la disruption dans rencontrer d’opposition .
En conclusion il faut un incitatif fort, généralement la concurrence, une vision large des affaires et beaucoup de courage car l’attaque peut venir n’importe quand, de n’importe qui et n’importe où.
Je vous laisse le soin d’évaluer la concordance de ces qualités avec les environnements dans lesquels vous évoluez et imaginer quels pourraient être les dangers externes.
© Pascal Rulfi, décembre 2019.
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