Transformation digitale

Depuis quelques temps, j’observe que le mot digitalisation envahi l’espace de communication. Marchands du temple, politiciens, diseurs de futurs digitalisent dans les nombreux séminaires et autres articles. Digitaliser serait la clé du succès de demain sans que finalement le péquin comprenne de quoi il s’agit.

Toutefois, si le bruit ambiant digitalise, il en va tout autrement des réalisations concrètes qui peinent à se matérialiser. Ce constat m’incite à proclamer qu’il faudrait moins de blabla et plus de résultat !

Digitalisation  ≠  informatique

J’ai pu constater que nombre de dirigeants considèrent que la digitalisation est liée à l’informatique. De mon point de vu cette association est une erreur.
J’ai par exemple le souvenir d’un projet d’intranet voulu par un directeur au milieu des années 90. Ce dernier s’adressait au service informatique pour porter le projet. Le service informatique affirmait que cela ne le concernait pas puisqu’il s’agissait de publications. Et le service des publications affirmait qu’il s’agissait d’informatique. Cette ébauche d’un projet de digitalisation est passée en force et s’est soldée par un échec. Cet exemple montre qu’on ne peut pas attendre d’innovations de la part de services qui fonctionnent de façon étanche.

Je ne compte pas les démarches numériques qui ont été aiguillées vers le service informatique. Ces services qui héritaient de simples intentions s’empressaient d’enterrer toutes propositions.

Le premier enseignement à retenir est que la digitalisation, ce n’est pas l’informatique.

Le second enseignement est que les projets de digitalisation sont le produit d’une réflexion globale et transversale. L’informatique n’est qu’un outil parmi d’autres dans le processus d’élaboration de services digitalisés.

Digitalisation ?

Pourtant, la digitalisation ou numérisation est formellement bien le produit des sciences informatiques. Dans son sens formel, il s’agit bien de transformer une information analogique vers une information numérique comme le fait le Compact Disc depuis 1982.

Aujourd’hui la digitalisation de la société porte sur un périmètre beaucoup plus vaste. Il s’agit toujours de manipuler de l’information sous forme numérique mais sa généralisation permet une exploitation sans limites du jaillissement ininterrompu des ressources que sont les données.

Le trafic routier illustre bien le propos. Dans un passé récent, le trafic était évalué par quelques points de comptage sur la route. Occasionnellement une personne pouvait même être employée à compter manuellement les véhicules sur un axe particulier. Lors des grandes transhumances un hélicoptère évaluait les longueurs des files aux péages autoroutiers pour donner les indications de « bison futé ». Cette information très parcellaire n’informait que sur une appréciation du nombre de véhicules en transit.

C’est désormais notre téléphone mobile qui informe le propriétaire de la donnée, en temps réel et de façon continue de la fluidité du trafic en n’importe quel point. Vitesse, arrêts, fluidité, historiques, d’énormes bases de données récoltent nos informations et les présentent de façon lisible et utile.

Voilà un processus typique de digitalisation qui fait intervenir des smartphones, le GPS, des transmissions de données, le big data et des puissants calculs. Et le tout a échappé aux collectivités publiques qui ont la charge de réguler le trafic routier.
Notons que la société la mieux placée pour réguler le trafic est Google car elle possède les données.
Un État qui s’appuierait sur une société telle que Google pour effectuer la régulation lui octroierait un pouvoir exorbitant car elle aurait la capacité de paralyser une ville à son bon vouloir.

Le troisième enseignement à tirer est que la digitalisation est formée par l’agrégation de technologies diverses.

Le quatrième enseignement nous montre qu’un compétiteur peut surgir de n’importe où. Il faut évaluer le risque d’une accélération de la redistribution des cartes dans un marché.

Concrètement

La mauvaise nouvelle est que la transformation digitale n’est pas un produit fini qu’il suffit d’acheter.

La digitalisation relève de la démarche globale et volontaire d’une organisation. D’un coté elle dispose d’un ensemble d’outils et de l’autre des problématiques ou des avantages à conquérir. Il appartient à l’organisation d’élaborer les solutions qui lui donneront un avantage compétitif. La recherche de valeur va exiger une démarche interne, impliquante et continue des membres de l’organisation.

Cette brève note n’ambitionne pas de révolutionner le monde, mais elle propose une réflexion sur la manière d’aborder la transformation numérique en tant qu’organisation locale, privée ou publique.

Pour démarrer la réflexion, il est utile de se mettre à la place du consommateur. Que pouvons-nous lui offrir ? Comment lui faciliter la tâche ? Qu’attend-il ?

Une autre approche, plus traditionnelle, consiste à chercher des sources d’amélioration de la productivité. Si la question est triviale, la recherche de solutions l’est beaucoup moins tant le numérique est porteur de disruption dans la manière d’aborder une activité.

Ensuite, il faut alors avoir une vue globale de la boite à outil ainsi que des actifs à disposition.
Les actifs représentent les données disponibles, la capacité de traitement, la possibilité de récolte, les processus et la valeur ajoutée réelle.
Les outils prennent diverses formes telles que les objets connectés, les capteurs, les imprimantes 3D, la blockchain, l’IA, les drones, etc, soit tous les dispositifs qui participent à un système.

Ainsi, l’ensemble des outils et des actifs peuvent former les solutions innovantes, voire disruptives, qui permettent d’atteindre les objectifs que l’organisation s’est fixés.

Comment et avec qui ?

La mise en œuvre de la réflexion et de l’identification des projets de transformation numérique présente quelques complexités d’organisation. En effet, la démarche implique une remise en cause des fonctionnements et des processus de production dont les changements sont par nature anxiogènes.

La mise en commun des ressources qui possèdent les connaissances et les qualités requises sont nécessaires à faire émerger une pensée « latérale ».

Les connaissances technologiques sont évidemment indispensables pour construire et évaluer des solutions. Je recommande de ne pas se reposer sur les informaticiens internes. En effet, ils sont généralement trop absorbés par des tâches opérationnelles pour pouvoir intégrer efficacement des technologies hors de leur domaine de spécialisation. Des ressources passionnées de technologies et informées, sans pour autant être expertes, peuvent faire l’affaire.

Les connaissances opérationnelles sont indispensables et les ressources engagées doivent avoir une connaissance intime des processus et du fonctionnement réel.
Ma recommandation est de ne pas impliquer les directions et les responsables mais plutôt les personnes qui effectuent les tâches au quotidien. Les personnes opérationnelles décriront la réalité du fonctionnement et éviteront la description théorique des processus tels que les responsables l’imaginent.
Notons que c’est l’occasion de réviser les processus et cas échéant les améliorer.

Une connaissance intime du consommateur est nécessaire, deviner son comportement, imaginer sa psychologie, identifier la valeur qui vous rend unique à ses yeux.
Parmi les erreurs que j’ai fréquemment constatées, il y a un mauvais usage du sondage. En effet, les questions généralement posées sont : « être vous content de nos services ? » et « comment pourrions-nous l’améliorer ? ».
Cette démarche est stérile car un client sera par définition plutôt content des services fournis, et s’il y a une situation de monopole, il n’a simplement pas le choix.
D’autre part, demander à son client comment améliorer le service n’a aucune chance d’être disruptif car le sondé va répondre autour de ce qu’il connait.
Par exemple, en 1995 demander aux clients de Swissair comment améliorer le service avait peu de chance d’aboutir à la proposition « un processus de commande autonome pour le cinquième du prix ».
Pourtant c’est ce qu’ils ont plébiscité quand l’occasion s’est présentée.

Les contraintes légales doivent évidemment être prises en compte.
Toutefois, en interne, il faut veiller à gérer le réflexe de protection particulièrement présent chez les juristes lesquels peuvent freiner ou stopper la démarche.
L’adaptation des processus pour des raison d’efficience sont également l’occasion d’une remise en conformité qui peut s’avérer pénalisante. Les décisions à prendre nécessitent un arbitrage, voire une prise de risque qui doit être assumé par la direction.

Enfin, les ressources devront être sélectionnées parmi celles qui ont les qualités suivantes : pragmatisme, curiosité, coopératif, ouverture, créativité, agilité et courage pour des raisons évidentes.
On veillera à éviter les esprits négatifs, les conservateurs et les enjeux de pouvoir.
Autant dire que réunir une équipe qui possède toutes ces qualités n’est pas une mince affaire.

Toute la complexité de l’exercice consiste à inventer un service différent qui apporte une réelle plus-value. Par exemple, le compétiteur le plus dangereux d’une compagnie d’aviation d’affaire n’est pas nécessairement son concurrent direct mais la visioconférence.

Un accompagnement externe n’est pas à négliger. En particulier dans les organisations qui n’ont pas de tradition d’innovation.

Processus continu

La transition digitale est un processus continu qui se déploie dans la durée. L’envisager comme un projet doté d’un investissement unique est une erreur fréquente. Une balance entre les coûts engendrés et les bénéfices est naturelle, toutefois il s’agit d’une démarche par approximations successives qui n’est pas un processus déterministe comme le serait l’acquisition d’un bien de production.

Réfléchir à une organisation dynamique et créative est un challenge complexe et déterminant. L’organisation des spécialistes en innovation peut inspirer quelques bonnes pratiques.
Par exemple, le modèle Google qui alloue à ses collaborateurs 20% de temps libre pour développer des projets d’innovation. Cette démarche iconoclaste dans une entreprise mécaniste et hiérarchisée est totalement logique lorsqu’on réfléchit au contexte de Google. En effet, la diffusion d’un produit est gratuite sur le net, en revanche le succès est totalement imprédictible. L’objectif est alors de développer et publier un maximum de services donc d’idées, au meilleur coût et de laisser le marché faire le tri. Si le service rencontre le succès il sera enrichi, sans quoi il disparaitra sans que son échec soit un drame.

La complexité

La transformation digitale est une révolution en marche qui concrétise l’évolution de notre environnement. Participer à cette aventure n’est assurément pas chose facile car les enjeux sont multiples.

L’écueil que tous identifient est la maitrise technique. Malheureusement, les métiers de l’ingénieur sont mal connus, et le moindre opérateur devient un « ingénieur système ». Il s’agit de placer l’ingénieur là où il apporte de la valeur. Il faut retrouver des ambitions techniques. Soyons réaliste, l’Europe semble bien endormie et se disqualifie face aux géants nord-américains et chinois, ce qui devrait être considéré comme une situation dangereuse.

Plus proche de nos préoccupations il y a celle liée à l’organisation interne. Instaurer des coopérations transversales, transparentes et dynamiques est d’autant plus difficile que l’organisation est stable et hiérarchique.

Réinventer une activité pour laquelle on est un spécialiste reconnu est pour le moins déstabilisant. Personne ne souhaite vivre l’insécurité qu’impose la transition numérique, pourtant elle se déroule quoiqu’il arrive.

Penser latéralement est indispensable, se placer hors du cadre, sous divers angles est une nécessité qui est intellectuellement est plutôt gratifiante. Oser l’interrogation, oser la remise en question et les suggestions venant de la base (kaizen) ne sont pas des démarches nouvelles.
Toutefois il convient de veiller à ne pas déstabiliser l’organisation de façon inutile ou létale.

La démarche va rencontrer de nombreuses résistances, ouvertes ou larvées. Elle demande du courage car arbitrer entre toutes les contraintes est assurément difficile. Trouver les chemins qui conviennent à son organisation relève de la gageure.

Finalement, je repense à la force inspiratrice du discours du président Kennedy en 1961 : «  We choose to go to the Moon. We choose to go to the Moon in this decade and do the other things, not because they are easy, but because they are hard, because that goal will serve to organize and measure the best of our energies and skills… »

Que ces quelques lignes qui ont annoncé une intention pharaonique guident notre démarche dans la transition numérique.

Il s’agit d’être ambitieux, agile et courageux. Si vous ne le faites pas, d’autres s’en chargeront, peut-être avec un succès qui vous surprendra.

© Pascal Rulfi, mars 2019

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