Le constat est aujourd’hui sans appel, l’Europe est inexistante sur le terrain du numérique. Le continent européen n’a engendré aucune entreprise d’envergure issue de la première révolution internet.
De façon logique, ce retard se retrouve dans le domaine de la sécurité numérique où la forte croissance des cyberattaques, notamment dans le secteur de la santé, montre la vulnérabilité de nos entreprises et de nos institutions.
En France, certains chiffrent ce retard à près de 30 ans !
C’est dans ce contexte que le président Macron a présenté au mois de février un plan à 1 milliard d’euros qui vise à renforcer la cybersécurité de la France.
L’intention est louable et nécessaire. Toutefois, je m’interroge sur le déploiement et l’efficacité de l’exécution d’un tel plan.
En effet, le numérique relève d’une tournure d’esprit et non pas d’une simple maitrise technologique.
En Suisse, malgré l’excellence de nos écoles polytechniques et la disponibilité de talents, l’esprit numérique semble avoir peu percolé dans les organisations. Beaucoup d’achats, des frais d’exploitation élevés mais très peu de créativité et de réalisations concrètes.
En clair, nous pouvons disposer de toutes les compétences numériques du monde, si nous ne savons pas quoi en faire, il n’y a aucune raison que cela débouche sur de brillantes étincelles.
Que faire ?
Dans mon billet la disruption vient rarement de l’intérieur, je prétends que l’innovation disruptive a très peu de chance d’émerger dans des organisations établies. Des entreprises telles que Uber et Amazon n’ont aucun passé dans leur secteur d’activité respectifs, soit une compagnie de taxi et la grande distribution.
L’innovation productive exige un écosystème particulier dans lequel on doit trouver : vision, technologie, esprit d’entreprise, financement et débouchés commerciaux.
L’esprit d’entreprise et d’innovation est plutôt l’apanage des structures de type start-up qui développent une idée ou une vision en dehors des contingences de la grande entreprise établie.
La transformation de connaissances et de technologies en valeur ajoutée concrète est un défi complexe. Deux dispositions peuvent agir favorablement.
La première est l’émulation par le partage de moyens, d’expériences et d’idées ainsi que le développement d’un esprit de compétition positive. C’est le modèle de ferme de start-ups dont beaucoup tentent de reproduire les écosystèmes.
La seconde est la proximité avec les savoirs, donc les écoles. Il s’agit de trouver une émulation entre le monde académique et les acteurs qui transforment des savoirs en produits.
Pour les universités, les entreprises sont des aiguillons concrets et fédérateurs d’une certaine interdisciplinarité des matières : sciences, finance, business, droit et autres disciplines doivent collaborer pour un objectif clairement défini.
Les entreprises proches d’un campus universitaire bénéficient des connaissances avancées et pointues apportées par la recherche des hautes écoles. Ces dernières peuvent concrètement confronter leurs éléments théoriques et tester la validité de leurs hypothèses. Ainsi l’émulation bénéficie aux deux parties.
Les entreprises, services publics et services financiers peuvent se joindre à cet écosystème afin de contribuer au succès de projets dont on attend un rayonnement futur. Ces acteurs peuvent orienter des projets en partageant leurs besoins et expériences respectives ainsi que créer des opportunités de marché.
J’enfonce des portes ouvertes tant ce type de cluster d’entreprises sont répandus aux abords des grandes écoles. On ne présente plus les start-ups de la Silicon Valley qui sont l’exemple même d’un écosystème performant, épicentre des principales révolutions numériques que nous connaissons.
Plus près de nous, l’EPFL et son Innovation Park reproduit ce mode de fonctionnement avec un certain succès.
Dès lors pourquoi revenir sur un modèle qui semble acquis et qui fonctionne ?
Genève la dissipée
L’Université de Genève a été fondée au XVIème siècle. Ses bâtiments sont situés au cœur de la ville ce qui rend toute extension malheureusement difficile.
Avec le projet La-Praille-Acacias-Vernet, PAV pour les intimes, Genève s’apprête à remodeler une partie de son paysage urbain. C’est ainsi que la caserne, située en ville, est en cours de destruction.
Le hasard fait bien les choses car cet espace se trouve précisément proche des bâtiments de l’université de Genève comme le montre le plan suivant.
Dès lors, il semblerait logique de profiter de cette disposition pour créer un cluster d’entreprises du numérique. Purement genevois, ce cluster aurait pour objectif de créer de la valeur exportable dans le domaine des technologies de l’information.
La diversité de l’écosystème doit permettre d’orienter les sujets qui ont du potentiel. Un organe gestionnaire du cluster veillerait à fédérer les projets et ainsi éviter les redondances et autres gaspillages de ressources.
De même, cet organe veillerait à ce que les projets soient commercialisables et pas simplement des produits de commande réservés à un seul client donneur d’ordre.
Il semble que le masterplan du PAV prévoit une extension de l’université. Je ne peux qu’espérer que la création d’un cluster de start-ups du numérique soit intégré dans ce plan.
Il serait dommage de rater cette occasion unique de tenter d’inscrire notre région sur la carte de l’excellence numérique.
© Pascal Rulfi, mai 2021.
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