La gouvernance des projets informatiques de l’Etat ne déchaine généralement pas les passions et c’est bien dommage car le monde numérique est au secteur administratif ce que les robots sont à l’industrie : un outil de productivité. Par conséquent, un outil stratégique.
Généralement le parlement accepte mollement les projets qui lui sont soumis, souvent pour des sommes extravagantes et pour des utilités qui restent parfois à prouver.
C’est après d’importantes dérives, dévoilées par la cour des comptes, que le public apprend les montants engagés et le résultat net. Le tout dans une relative indifférence devenue fatalité pour cette matière particulièrement ardue.
L’observation de quelques-uns de ces projets donne quelques pistes sur les causes des dérives.
Premièrement, le fonctionnement par crédit d’investissement. Cette approche consiste à développer un logiciel comme on construirait un bâtiment, dans un effort concentré et unique.
Le service dont la demande est prise en compte par l’administration aura une tendance naturelle à surcharger le cahier des charges en fonctionnalités qui s’avèreront inutiles ou tentera d’adresser une couverture fonctionnelle qui ne fait économiquement et logiquement pas de sens.
Or, un système d’information se construit dans la durée, au gré des changements et pour des utilités concrètes. Il s’agit d’un processus évolutif permanent, pas d’une construction unique.
Deuxièmement, à Genève, le règlement stipule que la responsabilité de l’expression des besoins incombe au maitre d’ouvrage (le commanditaire).
Ainsi le maitre d’œuvre aura tendance à reproduire son propre fonctionnement sans réinterroger sa pratique. De plus, l’expression des besoins n’intègrera pas une vision globale de l’environnement qui permettrait de profiter de synergies. Par conséquent, le service a toutes les chances de se perdre dans des complexités coûteuses et inutiles pour un gain de productivité net incertain.
Sans oublier dans certains cas une absence d’objectifs clairement formulés, voire des objectifs contradictoires et non arbitrés qui mèneront à de cuisants échecs, souvent injustement attribués au service informatique.
Le rapport de défiance qui existe entre le parlement et l’exécutif débouche sur une multiplication des instances de contrôle. Malheureusement, le contrôle constate à postériori mais ne prévient pas et son regard est ressenti comme punitif. Finalement, la somme des contrôles et règlements étouffe toute velléité de changement.
Le contrôle est un dispositif qui ne constitue pas une solution pour créer de l’efficience.
Somme toute, l’enjeu est celui de l’organisation. Le service informatique a pour mission de gérer et produire un système d’information, le maitre d’œuvre de mener sa mission à bien de façon efficace. Dans cet environnement, il manque une compétence liée à l’organisation du travail, ce que les industriels appellent le service des méthodes.
Le service des méthodes est l’interface entre les services opérationnels et le producteur du système d’information. Il est chargé d’interroger les processus, de concevoir les outils utiles et pertinents pour les services opérationnels afin d’améliorer la productivité globale et de fournir les outils d’analyse nécessaires à une bonne gestion.
Lorsqu’une demande de projet informatique apparait, le service des méthodes est sollicité afin d’établir, en collaboration avec le maitre d’œuvre, l’organisation, le cahier des charges et les outils de mesure du projet de façon indépendante. Un projet informatique nécessiterait l’aval du service des méthodes pour pouvoir être présenté.
Par extension, le service des méthodes pourrait également être librement sollicité pour établir une étude d’opportunité sur des sujets liés à l’optimisation des processus.
Afin d’éviter les abus, seul le Conseil d’Etat serait habilité à demander une telle étude d’opportunité.
L’abus de contrôle et la défiance ont montré leurs limites et j’encourage le parlement à explorer des voies alternatives dans la bonne gouvernance de l’Etat, dont il semble acquis qu’il devra faire œuvre de tempérance dans l’attribution des ressources pour produire des services à la population.
(Cet article a été publié dans le journal Le Temps du 1er octobre 2014)
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