Un questionnement sur l’acquisition des connaissances

L’école a pour mission de donner aux élèves le moyen d’acquérir les meilleures connaissances et compétences en vue de leur vie future. En bon ingénieur, je me suis toujours demandé quel était le rendement de cette institution aux si nobles objectifs.

Laissez-moi vous conter une anecdote personnelle. Réputé élève moyen et peu doué pour les langues, mon cursus post-obligatoire a été orienté vers un parcours technique. C’est ainsi que j’ai obtenu des diplômes d’ingénieur au « technicum » et au « poly ».
De toute ma scolarité, je n’ai bénéficié d’aucune formation en anglais, ce qui était pour le moins handicapant lorsqu’on se spécialise en informatique.
Après mes études, j’ai effectué un stage de langue à Londres. Grande fut ma surprise lorsqu’au test de niveau, je me suis retrouvé en classe avec des étudiants ayant passé par l’école de commerce et le collège !

Plus proche de nous, je suis toujours surpris de constater que nombre de bénéficiaires d’une maturité du collège ne parlent pas couramment allemand alors que cette langue a été enseignée dès l’école primaire.
J’ai calculé qu’un porteur de la maturité qui aurait choisi l’allemand comme option spécifique aura bénéficié de 1’938 périodes d’enseignement durant sa scolarité.
Selon la Confédération, le nombre d’heures travaillées pour des salariés à plein temps s’élève à 1’819 heures. Cela signifie que durant sa scolarité, le porteur de maturité aura investi une année à plein temps en classe d’allemand. Est-ce que le rendement de cet investissement est bon ?

Ce constat m’a toujours interpellé. Soit les étudiants sont des ânes, soit les méthodes d’enseignement ne sont pas adaptées aux objectifs. Sous réserve que l’objectif soit de parler la langue.
Permettez-moi de douter de la sottise présumée des élèves.

Le taylorisme des savoirs

J’observe que l’école est organisée selon une méthode qui s’inspire de la division du travail, le fameux Taylorisme, qui est réputé fournir le meilleur rendement dans une production industrielle.
En effet, les branches sont divisées par spécialité : français, mathématiques, art plastique, allemand, physique, etc. Chaque matière est dispensée par un enseignant spécialiste.

Ensuite, chaque matière est divisée en chapitres, qui sont abordés de façon linéaire et séquentielle. Le tout est vu comme une chaine de production des savoirs. Au terme d’un ou plusieurs chapitres, l’école teste les savoirs au travers d’un examen.

Cette méthode est parfaite pour produire des voitures et des machines à laver. Cependant, si la méthode permet d’acquérir des savoirs, je doute qu’elle permette de les transformer en compétences.
L’inaptitude à parler couramment une langue étrangère en constitue une belle démonstration.

Au début de ma formation d’ingénieur, le prof de physique, assurément mauvais pédagogue et probablement mauvais physicien, nous assène : « La vitesse est la dérivée de la position ».

v(t) = dx/dt

Je me souviens d’avoir demandé une explication à cette affirmation qui me semblait totalement ésotérique, d’autant que la « dérivée » était un opérateur mathématique abordé une ou deux semaines auparavant et hors de tout contexte (à l’époque, nous étions loin du Wikipedia salvateur).

Je me souviens encore de la réponse de ce Nobel de la pédagogie : « C’est comme ça ».
Et il n’y a pas eu d’explication complémentaire ultérieure.

Donc, durant cette période, nous avions appris à manipuler une dérivée avec le spécialiste des mathématiques et appris ce qu’était la vitesse avec le spécialiste de la physique. Aucun n’a eu l’idée d’expliquer que la dérivée exprimait une notion de variation.
En clair, nous avions appris des trucs, cependant nos compétences utiles n’avaient absolument pas progressé.

L’évaluation consistait à répéter bêtement ce que nous avions appris. Ce qui produit un effet aberrant : on peut accumuler des savoirs, ne rien avoir compris aux concepts, mais réussir ses examens haut la main.

Je ne suis pas pédagogue, je ne sais donc pas quelle pourrait être l’alternative, toutefois, j’ai la certitude que cette méthode donne des résultats médiocres en termes d’utilité.

Les connaissances sont heuristiques

Pour comprendre une matière, il est nécessaire de la contextualiser afin de l’assimiler.

Enseigner que gauche et droite se traduisent en anglais par left et right est la méthode habituelle. Toutefois, ce mode d’apprentissage donnera des résultats médiocres pour la conversation, car mentalement, on formera une phrase en français avant de tenter la traduction. Aucune chance de tenir une conversation lorsqu’on passe par la conversion de langue.

Maintenant, laissez les élèves se promener dans la classe et énoncez à haute voix des consignes de changement de direction : right et left. Il y a toutes les chances pour que left et right soient définitivement et naturellement acquis, car les mots auront été liés au geste.

En mathématiques, je suis surpris de constater que la simple règle de proportionnalité est souvent mal maîtrisée par la population adulte. Alors que l’application de cette règle est intuitivement utilisée au quotidien. Pourtant, tout le monde a appris que :

a * d = b * c.

Cependant, l’abstraction de cette simple expression ne permet pas de transformer ce savoir en connaissances.

Je prétends que la connaissance s’acquiert par les liens que l’on établit entre différents savoirs.
De plus, les connaissances demandent de la maturation et de la mise en perspective.

Par excès, je prétends que le lien est plus important que le savoir. Savoir manipuler des instruments mathématiques sophistiqués sans faire de liens est non seulement inutile, mais en plus, cela ne laisse aucune rémanence dans les connaissances, excepté pour ceux qui en feront métier.

L’acquisition de connaissances est heuristique. Elle se fait par l’acquisition de savoir et des liens entre les différents sujets qui permettent de mettre du sens aux savoirs.

Je propose le schéma suivant qui modélise le propos. De façon délibérée, je ne segmente pas les différentes branches de façon traditionnelle (français, mathématiques, etc.).

Attardons-nous sur quelques sujets, par exemple les mouvements.
Le premier réflexe est de l’associer à la culture physique dans l’éducation traditionnelle. Le mens sana in corpore sano est très vite associé au sport et à la performance.
Pourtant, le mouvement humain porte sur d’autres aspects comme la danse ou le bricolage. S’agissant du bricolage, nombre de personnes se montrent malhabiles avec une clé à molette, un marteau ou un tournevis, des outils qui demandent une certaine compréhension de la technique et des notions de physique.

De même pour la technique, il est curieux que ce sujet n’apparaisse pas dans les apprentissages de base, alors qu’elle est probablement le sujet le plus impactant de ces 150 dernières années.
J’observe que ma génération était initiée au fonctionnement du moteur à explosion, car en pratique, elle démontait son vélomoteur pour, au mieux, l’entretenir, mais le plus souvent pour le maquiller. Un lien entre la physique, la technique et le mouvement. Ces savoirs se sont transformés en connaissances qui se sont étoffées dans la durée et suivant le parcours. Concernant un moteur, de nouveaux savoirs vont s’agréger : électricité, chimie, thermodynamique vont permettre d’augmenter les connaissances.

Le sujet modélisation est intéressant, nous pouvons inclure les outils mathématiques, mais également le dessin, voire la philosophie ou tout mode de représentation qui permette d’exprimer une idée, un élément.
Les mathématiques représentent un exercice intellectuel, certes passionnant, mais qui peine à trouver du sens pour la majorité.

Pour l’exercice, je sépare l’expression écrite et l’expression orale sans segmenter par langue.
Un enfant apprend une ou plusieurs langues par mimétisme, en aucun cas dans les livres, d’où l’idée de cette segmentation.

La connaissance est constituée de savoirs que l’on lie entre eux. Les savoirs croissent au cours du parcours, mais aussi, les liens entre les savoirs s’épaississent et s’interconnectent.

Le schéma exprime des savoirs qui croissent au cours du temps. Les liens entre les savoirs croissent également. Ainsi, le lien constitue un savoir à part entière. De plus, le lien met du sens aux savoirs, le tout constitue des connaissances !

Conclusions

Apprendre par tranche de 45 minutes dispersées dans le temps et sans aucun lien ne favorise que les élèves dociles et scolaires. Et même pour eux, l’assimilation de connaissances n’est pas acquise.

En aucun cas je ne prétends apporter des solutions de façon péremptoire tant le sujet est complexe. Toutefois, l’acquisition de savoirs et de connaissances est une démarche individuelle.
À ce titre, on comprend aisément que la diversité des individus s’accommode mal de la mécanisation des apprentissages.
Comme le montre l’apprentissage de l’allemand, le résultat de 1’900 périodes d’enseignement, plus le travail à domicile, semble attester que le rendement net est misérable.

Enfin, je suis interpellé par une école ressentie par certains comme une contrainte ennuyeuse (dont j’ai fait partie) et qui peut déboucher sur le décrochage scolaire. Apprendre devrait être le plaisir de la découverte, un chemin qui nourrit la curiosité, ce qui ne paraît pas être le cas.

Il m’apparaît nécessaire de nous questionner sur les méthodes d’apprentissage sans tabou et à la lumière des connaissances actuelles. Reproduire encore et encore des méthodes dont le rendement est manifestement médiocre devrait nous interpeller. Réfléchir hors cadre, non pas en légère évolution des méthodes en place, en imaginant un idéal qui produit un rendement significativement plus élevé me semble infiniment plus motivant que stagner dans une forme d’insuffisance.

Le projet est ambitieux tant le conservatisme est la norme.
Pour réfléchir à tout ça, chantons avec Jacques Brel : Rosa, rosa, rosam, rosae, rosae, rosa, rosae, rosae, rosas, rosarum, rosis, rosis…

© Pascal Rulfi, juin 2025.

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